(Par Véronique Anger-de Friberg. 24 août 2013)
Personne n'oserait évidemment comparer la perte d'un animal, aussi exceptionnel soit-il, à celle d'un être humain. Mais la disparition de cette petite chose qui dépendait de vous pour tout, qui occupait tellement de place dans votre univers depuis 12 ou 16 ans va vous plonger dans une peine immense pendant quelques jours ou quelques semaines. Bien sûr on se console plus vite, on se souvient avec plus de bonheur que de tristesse des moments partagés, des promenades, de tout ce qui a pu marquer une relation quasi fusionnelle.
On se jure qu'on ne nous y reprendra plus, que jamais on ne s'attachera à nouveau à un animal tant la douleur est forte, et la perspective de devoir la revivre dans 8, 10 ou 15 ans semble au-dessus de nos forces que déjà on se surprend à s'imaginer dans un ou deux ans, qui sait, avec un nouveau compagnon qui ressemblera à s'y méprendre aux précédents... Déjà, l'envie de retrouver ces émotions, cette affection et cette complicité indéfectibles. Vous êtes partagés entre le refus de revivre une phase émotionnelle négative trop forte et le besoin de ressentir cette proximité joyeuse qui vous aidera aussi à supporter les moments difficiles de l'existence.
Toute la différence avec le vide laissé par un être humain est là : dans cette projection d'un nouveau bonheur possible avec un nouveau compagnon. Certes, aucun chien ne remplacera jamais les chiens d'avant, ni n'ôtera cette impression qu'une page de votre vie se tourne comme un peu de jeunesse perdue. Non, aucun autre animal ne pourra remplacer totalement celui qui a creusé cette petite entaille dans votre coeur, mais il adoucira sa perte. Il réussira même à "compenser" son absence en créant un nouvel attachement aussi fort, avec de nouveaux souvenirs, de grands et beaux moments partagés de joie, d'amitié, d'amour même, et ce sentiment de participer à vos "années bonheur" même en période d'adversité.
Alors que le vide laissé par un être humain très proche n'est jamais comblé -et n'a évidemment aucune chance de l'être jamais- l'animal lui peut vous offrir cela : il peut vous faire accepter totalement le cycle de la vie, et donc celui indissociable de la mort. On finit par accepter que c'était dans l'ordre des choses, que votre compagnon a été si heureux, si protégé, si aimé que... c'est la vie. Si, en plus, vous êtes restés sans faillir à ses côtés, parfois jusqu'à le veiller jour et nuit dans ses derniers instants comme on veille un mourant, vous saurez que vous aurez tout fait pour lui et vous accepterez de le laisser partir.
En revanche, vous vous reprocherez toujours de n'avoir pas fait suffisamment pour vos proches. Et ce regret-là, vous n'en guérirez jamais, même si vous avez donné le maximum de ce que vous vous sentiez capable de donner. Plus vous aurez aimé votre animal, plus vous l'aurez rendu heureux, plus vous l'aurez accompagné dans la sérénité, mieux vous accepterez qu'il vous quitte. C'est exactement l'inverse pour un être humain : plus vous l'aurez aimé, plus vous aurez été présent pour lui, moins vous accepterez qu'il vous quitte, même s'il vous quitte âgé et en paix.
On sait qu'aucun nouvel enfant ne remplacera jamais un enfant disparu, aucune soeur ou frère ne remplacera une soeur ou un frère perdu, aucune belle-mère ne remplacera votre mère, aucun ami ne remplacera un père, aucun Amour ne remplacera jamais un grand Amour. La force de l'animal de compagnie est de vous combler de son vivant et d'ouvrir la voie à son "remplaçant" qui vous comblera à son tour sans pour autant effacer le souvenir de ceux que vous avez tant aimés avant lui. Il n'effacera ni la complicité, ni les instants de bonheur passés : il n'effacera que la peine.
Peut-être doit-on cela à la courte vie de l'animal ? Une règle non négociable imposée par Mère nature et acceptée par avance, avec angoisse mais fatalisme par les amoureux des chiens qui ne pourront vivre sereinement leur relation avec leur compagnon qu'en se soumettant à cette clause qui semble, le jour où la fin de votre vieux complice approche, bien cruelle.
Oui, le jour où l'on accueille un chien dans sa vie, il faut accepter sans broncher les conditions qui y sont attachées. Ou renoncer à jamais au plaisir de cet attachement si désintéressé qu'il en est bouleversant. Il faut aussi accepter que la tristesse ne manquera pas de venir clore ces belles années de tendre complicité. Il faut accepter que ce petit être appartenant à une espèce qui n'est pas la vôtre -et qui occupera parfois bien plus d'espace que certains de vos proches- vieillira plus vite que vous, et semblera donc vous quitter prématurément même après une longue vie de chien au motif que nos vies n'ont ni la même intensité ni, selon certaines croyances, la même "justification".
Simplement parce qu'ainsi va la vie...
Photo : Avec mes fantômes gris, "mes ombres" : Newton (25/03/1997-24/11/2012) et Saïan (15/03/2001-24/08/2013). Selon la SCC, l'espérance de vie moyenne d'un weimaraner est de 13 ans.
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