« La question de la concurrence des crimes n'a
pas de sens ». Claude Lanzmann (ce matin sur France Info), ancien
résistant, réalisateur du documentaire Shoah (1985) sur l'anéantissement des
deux tiers des Juifs d'Europe (autrement dit 40 % des Juifs du monde).
Voilà la réponse que je cherchais à chaque fois que
j'entends quelqu'un "relativiser" ce tourbillon de notre Histoire, le
plus immonde que l'Humanité ait connu :
"6
millions de Juifs exterminés certes... mais et les 10 à 15 millions de morts
dans les goulags ?" ou "Et le génocide des Tutsis au Rwanda ?"
ou "et les Indiens d'Amérique" (Guetta ce matin sur France Inter) et,
plus récemment, "Les Juifs sont victimes d'antisémitisme, mais n'oublions
pas que les premières victimes de DAECH sont avant tout des Musulmans" (D.
Cohn Bendit sur Europe il y a une 10aine de jours), etc. etc.
Oui il existe des horreurs et des génocides autres que
celui qui a été nommé Shoah. Et il ne s'agit pas de minimiser les horreurs sous
prétexte qu'elles seraient commises sur des non Juifs. Simplement, la Shoah a
pu être commise grâce à des complicités collectives, notamment des
gouvernements qui ont choisi de collaborer avec les nazis. Grâce à la passivité
criminelle, la lâcheté, l'indifférence, dont ont fait preuve la plupart des
Etats d'Europe et leurs citoyens, qui ont réagi bien tard.
Qui a envie de faire face à cette réalité ?
Personne... Dissonnance cognitive là encore. Trop dur de voir la réalité en
face, d'assumer notre part de responsabilité. Nous, générations qui n'avons pas
connu la guerre, devons transmettre cette mémoire que nos parents et
grands-parents nous ont eux-même transmise.
Alors, il est plus facile d'essayer de
"banaliser" l'anti-sémitisme en comparant les génocides, en essayant
de minimiser la Shoah en comptant le nombre des morts de chaque génocide. Pour
autant, tous les crimes contre l'humanité sont condamnables et aucun mort ne
vaut plus ou moins qu'un autre.
Attention de ne pas faire le lit de l'antisémitisme en
confondant critique légitime du sionisme et de la politique menée par le
gouvernement israélien à l'encontre des Palestiniens ou en faisant l'amalgame
entre le peuple israélien et la politique menée par son pays comparée à celle
de l'Allemagne d'Hitler, comme tant osent le faire. Une façon plus ou moins
consciente de nous dédouaner du passé si on laisse entendre qu'Israël fait aux
autres ce que les nazis lui ont fait...
Non, n'oublions pas que "Shoah", qui
signifie anéantissement, cataclysme, catastrophe, ruine, désolation en hébreu,
ne peut être placé sur une échelle comptable pour la bonne raison que rien
d'aussi systématique et érigé en système politique, en système d'Etat, pour
éradiquer/anéantir totalement une population, n'avait jusqu'alors été
"inventé" dans l'Histoire.
Un acte sans précédent.
Et cela, la mémoire collective n'a pas le droit de
l'oublier.
Non, pas le droit de le minimiser ou de relativiser,
parce que la bête immonde rôde toujours... et l'oublier c'est prendre le risque
de répéter les mêmes erreurs.
Par Véronique Anger-de Friberg (27/01/2015 à l’occasion du 70ème anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz).