lundi 3 mai 2010

En chaque blogueur sommeille un schizophrène…



(Par Véronique Anger. Billet d’humeur du 9 Janvier 2009)

Comme chacun sait, sur les blogs, le pseudo est la règle. Or je parviens parfois à lever le masque sous lequel se cache un personnage public, blogueur à ses moments perdus, un peu trop identifiable à sa pensée ou son style. Pour mieux illustrer mon propos, prenons un cas concret. Depuis quelques jours, une discussion fait rage sur Agoravox suite à mon interview du biologiste Jean-Jacques Kupiec. Ce débat animé (pour ne pas dire « combat ») oppose ainsi Jean-Jacques Kupiec (qui signe ses billets d’un JJK transparent) à un certain « Dickin » terminant chacun de ses commentaires acides d’un mystérieux « BL ». BL, deux petites lettres négligemment jetées aux initiés susceptibles de percer à jour l’identité réelle du signataire, ça intrigue. Forcément.

A force de petits indices égrenés ici et là dans les commentaires dont le sous-texte aura échappé à tous les lecteurs ou presque, mais certainement pas aux dialoguistes (décryptage : on devine que les questions/réponses de BL et de JJK doivent être interprétées à plusieurs niveaux connus d’eux seuls) je finis par en déduire que nos deux érudits qui s’opposent sur l’essentiel, se connaissent probablement et s’observent de longue date. Pour qui s’intéresse un minimum au microcosme intellectuel parisien et fait quelques recherches bien ciblées sur Google… un nom vient à l’esprit. Un nom que je ne livrerai pas ici puisque l’auteur (que j’ai sollicité dans ce sens) n’a pas jugé opportun d’abandonner son pseudo pour apparaître sous sa propre identité. Je respecte donc son choix et son anonymat bien que je le regrette, car il me semble que le « clash » JJK/BL aurait apporté un « petit plus » à ce débat.
Je reviens donc à la question qui me préoccupe : JJK renvoie BL dans les cordes après chaque salve de Dickin… JJK est bien Kupiec. Dickin est BL et Dickin est un autre… Vous suivez ? Faites un effort, c’est pourtant simple... Certains se livrent sur les blogs tels qu’ils sont. Ils assument leurs colères et leurs propos parfois excessifs, souvent agressifs. D’autres, n’assument pas cette part violente de leur personnalité. J’utilise à dessein le mot « violent » et si vous pensez que j’exagère, je vous invite à lire les billets publiés sur les blogs en général, sur Agoravox en particulier. Dès qu’un sujet passionne, il déchaîne au mieux les sarcasmes, au pire les insultes. (C’est volontairement que je ne parle pas ici des propos consensuels ou des points de vue divergents exprimés avec une politesse inhabituelle car ils restent l’exception et je ne peux donc en tirer aucune observation générale). Sur les blogs, la norme c’est : essayer de démontrer qu’on est le plus malin… Au fil de la discussion, le blogueur se sent poussé dans ses derniers retranchements et s’encanaille jusqu’à l’agression ouverte. Et pour certains, c’est un vrai plaisir de se rentrer dedans ; c’est un peu comme transgresser les codes sociaux en toute impunité…
Donc, Dickin est un autre. Si BL est un universitaire policé, Dickin est un blogueur qui oublie les règles de la bonne éducation et rentre sans vergogne dans le lard de Kupiec. Dickin n’est pas pire qu’un autre et ses billets seraient plutôt passionnants. Quant à JJK, qui est un être très sympathique en temps normal, il ne prend pas de gants et renvoie coup pour coup sur le même ton à BL. Donc match nul et balle au centre… Les blogueurs français aiment quand ça cogne et là, ça cogne fort. Donc, ce clash est un beau succès pour le blog de ce point de vue j’imagine. Personnellement, je ne suis pas amateur de sang. Je laisse donc chacun à ses petits plaisirs…

Ce qui m’intéresse dans le clash BL/JJK est qu’ils apportent de l’eau à mon moulin. En effet, certains blogueurs me font penser à ces automobilistes qui se transforment en fous furieux au volant de leur auto. Une espèce de schizophrénie s’empare d’eux. Hors de leur auto, ils sont à peu près fréquentables, mais dès qu’ils prennent le volant, ils perdent les pédales… L’auto, c’est une extension du territoire, un espace vital à défendre. Peut-être que Joël de Rosnay (repris par Al Gore qui a popularisé l’expression) en avait déjà l’intuition au début des années 90 lorsqu’il a parlé des « autoroutes de l’information » en décrivant l’internet du futur ? Quiconque s’approche de trop près ou semble manquer de respect au conducteur devient l’ennemi. Vous savez, un peu comme ces toutous adorables en temps normal qui se transforment en chien de combat dès lors qu’ils sont seuls dans l’auto de leur maître. Un syndrome classique d’agressivité liée à la territorialité… Oui, sur les blogs comme en voiture, beaucoup trop de gens se transforment en chien de combat. Curieux parallèle me direz-vous, mais en lisant les derniers commentaires publiés sur Agoravox, le journal « citoyen », c’est cette image qui m’est immédiatement venue à l’esprit.

La plupart du temps, sur les blogs, il n’y a pas débat mais dialogue de sourds et juxtaposition de points de vue d’internautes qui s’expriment avec une confondante agressivité (les modérateurs effacent les commentaires insultants ou racistes, mais les insultes « déguisées » demeurent). Que peut-on espérer de ces contributions ? Peut-on sincèrement penser qu’elles feront progresser les idées ? Je doute que l’intolérance qui règne sur les blogs favorise les échanges entre individus qui pensent différemment. Je doute aussi que quelques lignes balancées de manière péremptoire sans véritable travail d’analyse nous conduiront à donner plus de profondeur à notre réflexion. Le principal rôle du blog, me semble-t-il, devrait être de lutter contre la paresse intellectuelle. Au lieu de cela, je crains que le blog ne devienne finalement rien d’autre qu’un os à ronger consenti par les élites intellectuelles et politiques au petit peuple qui a peu voix au chapitre dans les grands médias. Le blog, qu’il soit citoyen ou non, aurait-il juste réussi à donner l’illusion au blogueur que sa parole comptait ?

Lire les commentaires de l’interview sur Agoravox : « Le chercheur Jean-Jacques Kupiec tire un trait sur le déterminisme génétique et les théories de l’auto-organisation ».