(Par Véronique Anger-de Friberg. Billet d’humeur du 14 décembre 2008) Je viens de regarder « La grande Librairie », l’émission de François Busnel, sur le site de France 5. Très beau thème que celui des « Passeurs » et très beau mot. L’un de mes préférés… Ce que j’ai retenu : on n’en voudra pas à Pierre Bergé de ne point aimer la prose de Marc Lévy (j’avoue que ce n’est pas ma tasse de thé non plus). Lévy, à sa décharge et à la différence de ses consoeurs et confrères Angot, Nothomb, Alexandre Jardin, Annie Ernaux… (la liste est longue !), est suffisamment lucide pour ne pas prétendre marquer la littérature de son siècle… Ni même « faire de la littérature ». Et puis, Marc Lévy a un public qui aime ses histoires. A l’image d’André Rieu pour le violon ou de Clayderman pour le piano, il sait qu’il ne fait pas de la grande musique, mais il sait aussi qu’il distrait un certain public et peut, qui sait, l’amener à monter en gamme. En revanche, pourquoi s’attaquer à la « personne » de l’auteur ? On peut détester un style d’écriture tout en appréciant l’homme (ce qui d’ailleurs ne doit pas aller sans poser parfois certains problèmes de conscience professionnelle pour Le Jourde & Naulleau et Eric nous explique comment, à la façon des journalistes politiques anglo-saxons, il s’oblige à garder ses distances avec les écrivains). Oui, pourquoi critiquer aussi méchamment un auteur tout en refusant cette critique lorsqu’elle vise son ami Sollers. Cela n’aura échappé à personne : Sollers est un grand ami de M. Bergé et M. Bergé ne supporte pas que Le Jourde & Naulleau s’en prenne à son grand ami, même s’ils critiquent l’écrivain et non l’individu. Voilà qui est troublant car la même règle ne vaut pas pour tous. C’est là que le débat dérape… Bergé se fâche et s’en prend violemment à Eric Naulleau et nous voilà dans « Règlements de comptes à Ok Corral » ! Bergé appartient à la génération qui refuse la critique hors des pratiques de Cour… Il s’adresse à ceux qui lui déplaisent ou le contredisent comme un aristocrate au petit peuple. Il rappelle un Temps que l’on espérait aujourd’hui révolu : celui des joutes verbales et des humiliations qui prédominaient à la Cour des rois de France quand le persiflage était plus méchant que divertissant. Bergé a été à bonne école. Les dîners mondains et le parisianisme, ça le connaît. Et quiconque a fréquenté ce genre de soirées, où l’ironie et le cynisme ont bien souvent supplanté l’humour, n’ignore pas à quel point l’exercice peut s’avérer parfois périlleux, voire fatal pour celui (présent ou absent) qui en fera les frais. Chez Busnel, l’ancien conseiller de Mitterrand semblait vouloir déclencher une réaction de colère chez Eric Naulleau. La ficelle de la provocation était un peu grosse... Et Naulleau, qui a fait ses classes dans les arcanes de la politique, a depuis longtemps appris à éviter les pièges et à ne pas faire le jeu des provocateurs. Trop facile de la jouer sur le terrain glissant de l’esprit étriqué et de l’intolérance. Ce fut bien tenté, mais peine perdue, d’autant que Naulleau n’est pas un « tonton flingueur » bête et méchant, sans culture ou sans discernement. Bonne nouvelle : on apprend au passage que le public ne tient pas compte des critiques publiées dans les journaux pour choisir ses livres. Le bouche à oreille fonctionne beaucoup mieux et je trouve très rassurant que le public ne soit pas aussi malléable que les médias se l’imaginent. Au milieu de tout cela, Luchini. Fabrice Luchini, l’amuseur public. Le talent et la finesse d’esprit réunis. Irrésistible, irréductible. Quelle délectation de l’entendre déclamer ses textes. C’est le médiateur, le sauveur du carnage que l’on sent pointer entre Bergé et Naulleau, celui qui fait diversion avec brio tout en se préservant des mauvais coups. Le fou du Roi. Un fou du Roi qui s’emballe, exulte, délire, bref nous captive. Ce garçon est fou… mais il nous fait la démonstration de son incroyable talent de comédien (au sens le plus noble du terme « comédien »). Un artiste dithyrambique, des envolées lyriques et des mots qui slaloment et nous donnent le vertige. Luchini est réjouissant, « cabot », au bord du chaos parfois ; au sommet de son Art souvent. On adore et on en redemande évidemment. Luchini, c’est « Le culte de l’excellence ». Quand venez-vous donner un spectacle à Québec Monsieur Luchini ? Nota : Billet d’humeur du 14 décembre 2008 également publié dans « La vie est trop courte pour lire de mauvais livre ». En ligne sur : http://www.facebook.com/topic.php?topic=6225&uid=32608663690 La vidéo du « clash » sur Daily Motion : http://www.dailymotion.com/video/x7psq8_naulleau-luchini-pierre-berge-le-jo_fun |