lundi 3 mai 2010

Rico, le chien savant sachant singer les primates...


(Des Idées & des Hommes® N°21 - 08/05)

Si, comme moi, vous êtes propriétaire d'animaux domestiques, et si vous avez souvent le sentiment que vos braves petites bêtes "comprennent" tout ce que vous leur dites (laissons ironiser les détracteurs de l'intelligence animale...) vous serez certainement intéressé par cette étude réalisée par la Yale University.

L'objet de la recherche s'appelle Rico, un colley noir et blanc âgé de dix ans (l'histoire ne dit pas s'il est de race pure) dont la particularité est d'être capable de comprendre la signification de 200 mots. En comparaison, le "vocabulaire" acquis par mon couple de "fantômes gris" (weimaraners) est finalement assez limité. Sans entraînement spécifique, ils saisissent le sens d'une soixantaine de mots et d'une demi douzaine de petites phrases courtes, ce qui, jusqu'ici, suffisait amplement à flatter mon ego... Voilà que Rico, lui, est également capable, en quelques jours, d'intégrer de nouveaux mots.
Paul Bloom, le psychologue qui participe à cette expérience, voit en Rico un "nouveau chimpanzé". "L'étendue de son vocabulaire est comparable à celle d'animaux entraînés à des tâches langagières comme les singes, les dauphins, les lions de mer et les perroquets" rapporte Hervé Morin, auteur d'un article sur Rico, publié dans Le Monde du 19 août. Le chien aurait atteint un niveau "comparable aux performances d'un enfant de 3 ans(...) Les enfants emploient une règle semblable pour former des hypothèses approximatives.". Il est étonnant que les éthologues ne se soient pas plus tôt intéressés aux capacités de nos amis quadrupèdes à comprendre le langage humain. Sans doute la crainte de se voir taxés de faire de l'anthropomorphisme...

Ainsi, un chien aurait réussi à singer les primates... La comparaison s'arrêtera vraisemblablement là, car on imagine mal Rico apprenant le langage des signes comme les singes parlant ;-)) Tout le monde connaît l'histoire de Washoe, une jeune femelle chimpanzé élevée par le couple Gardner, des psychologues américains. L'expérience date des années 60. Les Gardner décident d'éduquer leur singe comme s'il s'agissait de leur propre enfant et commencent à lui enseigner le langage des signes. A 4 ans, "l'animal" utilise plus de 140 signes et parvient même à combiner les signes et à former des phrases. Encore plus fort : elle "crée" de nouveaux mots... Mais doit-on encore parler d'animal dans ce cas ? C'est une des questions soulevées par Dominique Lestel, philosophe, éthologue-chercheur au CNRS, dans son livre "L'animal singulier". Pour décrire cette curieuse relation entre l'humain et l'animal, Lestel étudie les rapports homme/animal en termes de "communautés hybrides homme/animal privilégiant l'association sur la compétition".
"Un aspect fascinant des animaux qui vivent dans les communautés hybrides homme/animal" écrit-il, "est qu'ils exhibent des comportements d'humains qui ne sont jamais décrits par les éthologues de terrain. L'anthropormophisme n'est jamais à exclure(...). L'objection anthropomorphique bloque la pensée en donnant trop aisément et à peu de frais, une échappatoire satisfaisante à l'esprit rationaliste à qui on ne la fait pas.".

Pour beaucoup d'humains, reconnaître une intelligence à l'animal est effectivement une véritable blessure narcissique. Lestel observe que "L'animal est supposé être seulement une sorte de machine naturelle plus ou moins évoluée. Contrairement à ce que croient de nombreuses personnes, c'est encore la vision dominante, non seulement chez les spécialistes du comportement animal, mais aussi chez les philosophes.". Reste à savoir maintenant si les chiens ont une conscience...

Pour en savoir plus sur l'intelligence animale :
" Rico, le chien auquel il ne manque que la parole" Le Monde du 10/08/05 "
"Old dog learns new tricks" sur le site de la revue "Nature"
Dominique Lestel, philosophe, éthologue-chercheur au CNRS : "L'animal singulier" (Seuil. 04).
Konrad Lorenz, célèbre éthologiste autrichien : "Le comportement animal et humain" (Seuil. 1996)
Peter Singer, philosophe australien : "La Libération animale" (Grasset. 1993)
Gordon G. Gallup Jr : "Self-Recognition in Primates : A Comparative Approach to the Bidirectional Properties of Consciousness" American Psychologist (1977). Voir aussi : "The mirror test" ethttp://en.wikipedia.org/wiki/Mirror_test
Dr Stanley Coren, psychologue et dresseur réputé : "L'intelligence des chiens" ( Plon. 1993) ; "What do dogs know ?"